i-Kabin : quelle aventure !
Au mois de juin dernier, nous avons été mandatés par AESP Énergie Verte afin de concevoir et de développer la portion électrique et logicielle (embarquée et M2M) des i-Kabin. Ces cabines permettront la recharge de téléphones cellulaires et de batteries mobiles pour les villageois ivoiriens sans électricité. Notre mission était de fabriquer huit de ces cabines de recharge, dont sept pouvant être déployées en Côte d’Ivoire dans un délai très serré. Voilà un défi de taille !
À propos d’AESP Énergie Verte
AESP Énergie Verte est une société spécialisée dans le développement de solutions en énergies renouvelables. Constituée en société en 2013, AESP Énergie Verte est une ramification de Découpage AESP Inc, qui pendant les 13 dernières années, a été un sous-traitant dans la fabrication de métal pour les marchés canadiens et américains. Depuis les cinq dernières années, Découpage AESP a développé une gamme de lampadaires hybrides (solaire/éolien) complètement autonomes. Au début de 2013, ses propriétaires ont décidé de transférer leur « savoir-faire » dans une nouvelle entreprise à caractère écologique.
Le besoin
Après une étude de marché approfondie, AESP Énergie Verte a redirigé son développement en se concentrant sur les 600 millions d'habitants de l'Afrique subsaharienne vivant « hors réseau », c'est à dire, n'ayant pas accès à l'infrastructure du réseau électrique. Malgré les efforts déployés pour l'électrification de l'Afrique subsaharienne, la Banque Mondiale prévoit que les populations hors réseau dépasseront le cap des 700 millions d’ici 2024. Le marché potentiel, se chiffrant à plus de 50 milliards de dollars, en constante évolution, est prêt à être exploité.
C’est suite à plusieurs visites en Afrique subsaharienne, dont le Nigeria, la Côte d'Ivoire, la Tanzanie, l'Ouganda, l'Éthiopie et l'Afrique du Sud, qu’AESP Énergie Verte a orienté ses efforts de recherche et de développement vers une solution de remplacement propre, efficace et rentable pour pallier aux lanternes au kérosène qui représentent présentement la principale source d'éclairage pour les 600 M de personnes vivant hors réseau.
La solution et le fonctionnement
AESP Énergie Verte a développé une approche « communautaire » pour fournir de l'énergie électrique propre et abordable puisque la i-Kabin, en instance de brevet, est une station de recharge à énergie solaire déposée au centre du village et conçue pour recharger les batteries mobiles (i-Packs). Ces batteries peuvent être utilisées pour l’éclairage résidentiel, pour recharger les téléphones mobiles ainsi que pour alimenter une vaste gamme d’appareils électriques.
La i-Kabin a été conçue pour accueillir la recharge hebdomadaire de 100 i-Packs, soit 100 clients ou foyers. Une connectivité Internet, possible même dans les endroits les plus reculés, permet de communiquer à distance avec la i-Kabin. Cette fonctionnalité est utilisée pour diverses raisons opérationnelles, y compris la surveillance de la santé de l'équipement et pour les transactions mobiles déjà très populaires en Afrique.
Le concept i-Kabin est fort simple; la batterie mobile, appelée i-Pack, et achetée à prix modique par un utilisateur, ne peut être rechargée que par la station de recharge i-Kabin. Ces i-Packs, d’une capacité de 17 ampèreheures (Ah) comprennent deux lumières à DEL de 3 Watts et un connecteur multiprise USB pour recharger des objets essentiels comme des téléphones mobiles. En fonction de la demande de charge des consommateurs, la batterie aura une autonomie de 50 heures. Une fois la batterie épuisée de sa charge, elle doit être rapportée à une station i-Kabin la plus proche afin d’être rechargée sur une période d’environ 8 heures. Chaque station peut recharger environ une centaine de batteries par semaine et le client paie à l’opérateur de la station une somme pour la recharge qui est équivalente à l’achat du kérosène pour l'éclairage.
Dans le monde entier, il est malheureusement encore courant que les gens utilisent des lampes à kérosène pour s’éclairer à domicile. En plus de l’impact de la fumée sur la qualité de l’air, l’utilisateur court le danger que la flamme nue provoque un incendie. Avec le concept i-Kabin, les résidents pourront bénéficier d’une source de lumière propre permettant notamment à leurs enfants de faire leurs devoirs pendant de longues heures après la tombée du jour. De plus, l’industrie locale serait en mesure de prolonger ses heures d’ouverture, améliorant ainsi la qualité de vie et le bien-être économique de leurs entreprises et de la communauté. Qui plus est, en Afrique, la majorité des transactions monétaires s’effectuent par l’entremise d’une application mobile via un téléphone cellulaire. Ce dernier est devenu donc nécessaire pour acheter et vendre des services et des biens devenant ainsi un outil incontournable et essentiel à l’épanouissement économique de ces pays. Il était donc évident pour AESP Énergie Verte qu’une solution de recharge pour les téléphones cellulaires était nécessaire. Finalement, la i-Kabin permet de créer des microentreprises dans les villages cibles. En effet, les opérateurs des cabines de recharge achètent et revendent des crédits pour la recharge leur permettant ainsi de générer un revenu. Ceci a pour effet de stimuler l’économie locale des villages.
Actuellement, sept unités prototypes furent déployées et sont utilisées en Côte d'Ivoire. AESP Énergie Verte a mis en place un plan de croissance réaliste comportant un déploiement à compter du deuxième quart de 2015 (Q2) de 2,100 unités la première année, 3,200 unités l’année suivante suivis par 300 i-Kabins par mois pour les 36 mois subséquents. Finalement, depuis le début de l’année 2015, AESP Énergie Verte a accumulé plusieurs statistiques sur l’utilisation des i-Kabin assurant ainsi le financement nécessaire pour la suite du projet. Dans les trois premiers mois d’utilisation, on compte plus de 2000 recharges de téléphones cellulaires et de batteries mobiles ce qui démontre clairement la nécessité et le fort intérêt pour la i-Kabin en Afrique subsaharienne.
La conception électronique
Notre mission était de concevoir, de développer et de fabriquer tout l’aspect électronique/électrique et logiciel de la i-Kabin. Pour ce faire, nous avons dessiné les circuits imprimés (PCB) des chargeurs de batteries et de téléphones cellulaires avec le logiciel Eagle de CadSoft. Nous avons aussi conçu un circuit permettant de recenser les données et de communiquer avec les chargeurs via une interface I2C.
Étant donné que les échéanciers étaient particulièrement serrés et que le « time to market » était décisif, nous avons fabriqué tous les circuits des huit cabines à la main. Pour ce faire, nous avons d’abord fabriqué des plaquettes prototypes à l’aide d’une machine CNC et nous y avons placé les composantes électroniques. Oscilloscope, analyseur logique et multimètre à la main, nous avons fait tous les tests nécessaires afin de nous assurer que le concept était fonctionnel avant d'amorcer la production des circuits destinés aux prototypes.
Une fois que la preuve de concept a passé le test, nous avons fait fabriquer les circuits imprimés (plaquettes seulement) par Sunstone. Par contrainte de temps, nous avons tout de même fait l’assemblage à la main des composantes sur ces plaquettes. On parle de plus de 200 circuits assemblés en moins d’un mois ! C'est à l'aide de nos fers à souder, de notre plaque chauffante, de nos gabarits et de nos propres mains que nous avons assemblés le tout. Nous avons privilégié les composantes existantes, lorsque disponibles, mais nous avons fait face à plusieurs défis qui nous ont demandé d'être créatif et original.
Afin de tester le tout, nous avons produit une première i-Kabin. Celle-ci est maintenant disponible dans les bureaux d’AESP Énergie Verte à St-Eustache pour des fins de démonstration aux investisseurs. Cette première cabine nous a servi sur plusieurs plans. Premièrement, nous avons été en mesure de bien tester l'expérience utilisateur dans son ensemble. Ensuite, c'est avec cette cabine que nous avons pu pousser davantage nos tests pour la recharge des batteries. Finalement, nous avons pu tester notre couche de communication sur le réseau 3G afin de nous assurer que tout était fonctionnel pour la maintenance à distance et l'obtention des métriques et paramètres nécessaires au bon fonctionnement des cabines. L'enregistrement et l'acquisition des métriques via le réseau cellulaire (M2M) nous sont essentiels afin de comprendre comment les gens utilisent la cabine. Par exemple, il nous est possible de savoir combien de charges sont faites par jour. Nous avons aussi une vue d'ensemble sur la santé des cabines qui envoient régulièrement un "battement de coeur" à nos serveurs afin de constater que le système est opérationnel.
L’interface opérateur : une expérience utilisateur simple !
Étant donné que nous nous adressions à une culture très distante de la nôtre, nous avons fait un travail de recherche portant sur l’expérience utilisateur. À cette fin, nous avons conduit des entrevues avec des Ivoiriens établis au Québec afin de bien comprendre la réalité ivoirienne ce qui nous a permis de réaliser une interface utilisateur très facile d’utilisation et adaptée à leur culture, et ce peu importe le niveau d’éducation ou d’alphabétisme de l’opérateur.
Le développement embarqué et M2M
Pour la portion du développement embarqué, notre choix de microcontrôleur (ou plus précisément, mini-ordinateur) a été l’OlinuXino A20 d’Olimex. Cette petite merveille contient un processeur ARM Cortex-A7 avec 1GB de mémoire vive permettant de rouler Linux sans trop de tracas. Pour assurer la communication avec les cabines, nous avons choisi le modem M2M Janus T2 Terminus. Finalement, la gestion pour l'entrée d'énergie provenant des panneaux solaires est effectuée à l'aide du DC-PODX de Solantro. Pour intégrer le tout, nous avons fabriqué une carte d'expansion se greffant sur l'OlinuXino nous permettant ainsi de connecter le tout ensemble.
Afin d'assurer la communication entre les composantes, nous avons utilisé les interfaces I2C et RS232. Par exemple, le contrôleur de Solantro nous permet de gérer et surveiller l'entrée et la sortie d'énergie via un port série, tandis que la lecture de l'énergie distribuée par les chargeurs est gérée par I2C.
Pour le développement du logiciel de l’opérateur, nous avons utilisé plusieurs technologies et langages comme Python, JavaScript et des scripts Bash. Python est un langage de choix et bien connu dans le monde de l'embarqué et nous a permis de développer rapidement l'application de l'opérateur à l'aide de Flask. Comme je l'ai mentionné plus tôt, le "time to market" était critique et nous avons privilégié la réutilisation des outils existants sous Linux. Nous avons développé la couche de communication en utilisant des scripts Bash, ce qui a permis d'obtenir les fonctionnalités essentielles rapidement et construire sur des technologies robustes et éprouvées.
La portion serveur
Nous avons également développé un portail administrateur accessible sur nos serveurs. Notre plateforme de choix a été Django que nous avons jumelé avec MySQL, Bootstrap et jQuery.
Le portail administrateur nous permet de surveiller facilement ce qui se passe dans l'ensemble du système et sur chacune des cabines sur le terrain. Nous avons un tableau de bord qui affiche les informations et les métriques en temps réel. D'un coup d'oeil, nous pouvons rapidement identifier un problème et intervenir au besoin. Tout ça est évidemment possible grâce à notre couche de communication solide dont je vous ai fait part plus tôt. Le portail affiche la balance des crédits sur les cabines, la liste des transactions, la performance des panneaux solaires, le profil de recharge des batteries, les battements de coeur des cabines et une grande quantité d'information nous permettant de diagnostiquer les problèmes. Nous avons même une section météo qui nous permet de comparer le rendement des panneaux solaires avec le temps qu'il fait en Côte d'Ivoire !
Le déploiement en Côte d'Ivoire
Une fois que les sept i-Kabin destinées à la Côte d'Ivoire ont été finalisées et dument testées, nous avons tout emballé convenablement et nos cabines se sont envolées vers Abidjan. Ensuite, c'était notre grand départ vers la Côte d'Ivoire afin d'effectuer l'installation. Nous avons procédé à l'assemblage (dans un entrepôt à Abidjan) et au déploiement des cabines dans les différents villages. Ces villages (aussi connus sous le nom de communes) sont difficilement accessibles et il faut emprunter des routes assez particulières. Nous avons donc été prudents afin de ne pas abimer nos livraisons.
Les villages ciblés étaient Moussadougou, Ledoux-Lagazé, Gnago 1, Kpotè et Boko. Nous avons installé trois cabines à Moussadougou, car ce village est particulièrement gros (36 000 habitants). Au Québec, j'imagine que nous appellerions plutôt ça une petite ville. Dans cette première phase, chaque cabine peut combler les besoins en recharge de 75 batteries.
Nous étions très attendus par les villageois ! Pour eux, la i-Kabin était pour changer leur vie. En effet, le but de la première phase était de tester et de constater, sur le terrain, les chances de succès et l'engouement face à cette belle et grande initiative. Les sept i-Kabin que nous avons déployées ne sont clairement pas suffisantes pour répondre à la demande. Cependant, il est maintenant clair pour nous qu'il faut passer aux prochaines étapes. La production des i-Kabin devra passer à plusieurs milliers afin de desservir la région de l'Afrique subsaharienne. La Côte d'Ivoire n'était que le début. Au final, nous avons rendu ces villageois heureux. C'est très valorisant de faire la différence !