Ne obliviscaris — IBM
L’empire que nous allons étudier cette semaine est un véritable monstre. IBM. Celui qu’on appelle aussi « Big Blue » a souvent été le fournisseur préféré d’innombrables compagnies. Il fut un temps qu’on disait que personne n’avait jamais été congédié pour avoir acheté des produits IBM. Mais aujourd’hui, même s’il existe toujours, son blason a palit…
La naissance
IBM est initialement créé en 1911 de la fusion de trois entreprises. Les principaux produits de la compagnie à cette époque sont les tabulatrices (http://fr.wikipedia.org/wiki/Tabulatrice), des équipements désignés essentiellement pour effectuer des agrégations de données. Leurs premières utilisations furent lors des recensements américains. (Il a fallu 7 ans au premier tabulateur pour faire le recensement de 1890 !)
Rapidement, IBM perfectionne les tabulatrices et repousse les limites des informations que ces machines peuvent traiter. En 1944, IBM, en collaboration avec l'université Harvard, lance le premier ordinateur autonome, le ASCC Harvard Mark I. Il pouvait exécuter de longues opérations automatiquement, sans avoir besoin d'être supervisé. Il est considéré comme le point de départ de l'informatique moderne. C'est aussi l'ordinateur à avoir inventé le mot « Bogue », parce qu'un jour, un des techniciens a trouvé un insecte dans une de ses lampes. (L'ancêtre du transistor.)
En 1954, IBM lance le Fortran, le premier langage informatique. En 1957, IBM lance le disque dur. Et quelques années plus tard, ils lancent le premier système d'exploitation moderne, OS/360 (commencé en 1964 et sa dernière mise à jour fut en novembre 2011)
Suivant ces innombrables succès, au début des années 1970, IBM devient la compagnie avec la plus grande capitalisation boursière.
La saga des PC
Une première hésitation
Même si le premier ordinateur personnel à avoir du succès est le Apple II, c'est initialement IBM qui a eu l'idée de créer des ordinateurs personnels. Mais à l'époque, les gestionnaires d'IBM étaient divisés quant à la direction à suivre. Une moitié des gestionnaires voulaient voir IBM se concentrer sur son pain et son beurre, les mainframes. Alors que d'autres gestionnaires voulaient que la compagnie investisse massivement dans un marché naissant, les ordinateurs personnels, les PC.
Voyant le succès d'Apple, IBM décide finalement d'entrer dans le marché malgré tout. Les dirigeants d'IBM, tellement peu convaincu du succès de ce segment de marché, décident de sous-traiter le développement des logiciels requis, ainsi que plusieurs de ses composants. IBM essaie d'acheter CP/M, le système d'exploitation de Digital Research, mais les négociations échouent.
Comme Superman, ils ont créé leurs ennemis
Mary Gates, la mère de Bill Gates, travaille à cette époque pour IBM en tant qu'avocate. Lorsque les négociations avec Digital Research échouent, elle convainc les gestionnaires d'IBM de rencontrer son fils, président d'une compagnie qu'il avait créé avec des amis en abandonnant l'université, Microsoft. Bill Gates réussit à convaincre les dirigeants qu'il pourra développer un produit, compatible avec CP/M, rapidement.
La mère de Bill Gates écrit le contrat avec Microsoft. Ce qui a pour résultat qu’IBM paie Microsoft pour faire le développement et la maintenance de DOS, mais qu'il en garde le contrôle complet. Il n'a pas besoin d'avoir l'aval d'IBM quant aux décisions quant à l'évolution du système d’exploitation. Il en garde même la propriété intellectuelle.
Cette entente fonctionne quelques années, tant que les deux compagnies sont sur la même longueur d'onde. Mais en 1984, les relations entre les deux compagnies s'enveniment, lorsque Microsoft accepte que DOS soit distribué avec les premiers clones de PC. Suite à des négociations, Microsoft et IBM acceptent de créer deux équipes de développement distinctes, chacune étant propriétaire des modifications qu'ils y font. Naissent donc de cette entente : MS-DOS et PC-DOS.
IBM pense avoir signé une bonne entente parce qu'elle croit que les clients voudront acheter les authentiques « IBM PC ». Mais la gageure de Microsoft porte ses fruits, les clones de PC deviennent largement plus populaires et IBM ne devient qu'un joueur de second ordre dans le marché. Microsoft triomphe, car tous les fabricants de clones distribuent MS-DOS.
PS/2
Ayant vu le marché des PC devenir de plus en plus grand, IBM décide de revenir à la charge en 1987. Ayant appris de leurs erreurs, ils créent la seconde itération des PC, le IBM PS/2 et un nouveau système d'exploitation, OS/2. Mais contrairement à leur première incursion dans le marché, ils décident de garder le contrôle sur presque tout. Il ne conserve que les processeurs Intel pour préserver la compatibilité avec les logiciels écrits pour DOS.
Le PS/2 introduit plusieurs innovations. C'est le premier ordinateur 32-bits à mémoire protégé, avec une implantation moderne du multi-tâche. Il introduit : les connecteurs de claviers et de souris standards, la carte graphique VGA, le bus MicroChannel et l'interface SCSI. Mais l'ordinateur possède deux problèmes. Le premier : ils sont dispendieux, les standards de qualités d'IBM étant trop élevé pour leur réel utilisation. Le second : ayant trop peur d'être cloné de nouveau par d’autres compagnies, IBM garde secrètes trop d'informations sur son nouveau système. Ce qui amène plusieurs développeurs et les fabricants de périphériques à boycotter l’ordinateur. Ce manque d'offre se répercute rapidement sur les ventes. Le PS/2 devient rapidement un échec commercial. Le PS/2 et OS/2 resteront cantonnés à une niche, les opérations bancaires, où l'influence d'IBM est encore très forte.
Mais IBM, ayant trop peur de perdre ses investissements, finit par licencier ses technologies aux compagnies qui ont cloné ses premiers PC.
Windows NT
Mais les fabricants de clones refusent d'inclure OS/2 avec leurs ordinateurs, les utilisateurs préférant Microsoft Windows. IBM décide alors de s'allier à son ancien collaborateur : Microsoft. Il convainc le géant de Redmond de développer conjointement OS/2. Leur but étant essentiellement de permettre à OS/2 de pouvoir exécuter, sans pénalité de performance, des applications développées initialement pour Windows.
OS/2 2.0 sort avec une compatibilité presque parfaite avec Windows, ne lui manquant que le support des imprimantes. Mais en 1990, la relation devient tendue entre les compagnies lorsque Microsoft refuse d'abandonner Windows. (Windows 3.0 se vend toujours mieux qu'OS/2 même s'il est technologiquement inférieur.) Après quelques mois de guerres entre les deux compagnies, Microsoft menace IBM de retirer sa propriété intellectuelle contenue à l'intérieur d'OS/2. IBM faiblit et propose un marché à Microsoft. Ils leur donnent la permission d'utiliser le code source d'OS/2 à leur guise tant que Microsoft leur laisse garder la compatibilité avec Windows 3.1. Microsoft accepte.
Microsoft lancera, en 1993, Windows NT. Windows NT contient à sa base le coeur d'OS/2, avec l'interface graphique de Windows 3.1. C'est cette même base qui est encore utilisée dans les systèmes d'exploitations actuels, tel Windows XP et Windows 7.
Ses mauvaises acquisitions
IBM, tout au long de son histoire, a souvent fait des acquisitions et a vendu certaines de ses divisions.
Vente de Lexmark
En 1991, IBM décide de vendre sa division déficitaire qui produit et vend des imprimantes. Sa division devient la compagnie Lexmark qui existe toujours. Après une restructuration interne, la compagnie devient profitable en 1993, année où IBM déclare, au même moment, un déficit de 8 milliards de dollars. La plus grosse perte jamais rapportée à l'époque.
Achat de Lotus
En 1995, IBM achète Lotus, qui produit 123, un tableur populaire, pour compétitionner Microsoft qui a développé Excel. Mais rapidement Lotus se montre un piètre compétiteur à Microsoft. Les dirigeants avaient dépensé une quantité importante de temps de développement à optimiser leur logiciel afin de le faire fonctionner sur le plus d'ordinateurs possible, vieux ou récent, gros ou petit, croyant que l'accessibilité universelle était la stratégie qui allait remporter.
Mais Microsoft réalise que les utilisateurs mettent rarement leurs logiciels à jour et que la majorité des ventes se produisent lors de l'achat de l'ordinateur. Comme les nouveaux ordinateurs sont plus toujours plus performants, Microsoft décide de ne pas optimiser Excel et il focus sur l’intégration de fonctionnalités uniques.
Achat de Rationale
En 2003, IBM décide d'acheter la compagnie Rational, qui produit beaucoup de produits prisés des développeurs, comme Rational Rose, un populaire logiciel d'édition et génération d'UML.
Mais rapidement, les logiciels développés par Rationale seront discontinués les uns après les autres, ayant perdu leur clientèle aux mains de leurs compétiteurs, plus proactifs quant à l’amélioration de leurs produits.
Vente de Lenovo
En 2005, IBM décide de vendre une autre de ses divisions déficitaires, celle qui produit les PC, à Lenovo, croyant que l'avenir est aux logiciels et aux services. Mais la compagnie Lenovo restructure la division et elle est réussie à dégager des profits quelques années plus tard.
Conclusions
IBM a su être un joueur proactif dans les premières années de l'informatique moderne. Mais ses nombreuses hésitations, ses mauvaises ententes et sa gestion déficiente et désintéressée à transformer IBM, qui dans les années 70, était la compagnie qui possédait pratiquement la totalité du marché de l'informatique, en un simple joueur de l'échiquier mondial.