“Hacker” le diabète
Ashley est atteinte de diabète de type 1. Comme de plus en plus de malades, elle a décidé de prendre son avenir en main plutôt que d’attendre des solutions apportées par l’industrie de la santé. Grâce à la technologie et au mouvement open source, il est maintenant possible de « hacker » sa maladie :
La plupart des gens sont familiers avec le diabète, une maladie avec laquelle l’organisme ne peut pas produire d’insuline ou ne peut pas utiliser correctement celle qu’il produit. Près d’une personne sur dix au Canada est atteinte de diabète, et de ce nombre, environ 5 à 10 % sont atteintes de diabète de type 1, celui où les cellules bêta du pancréas, celles qui produisent l’insuline, ont disparu. Ce type de diabète est parfois aussi appelé diabète insulinodépendant, ou encore diabète juvénile, car il se développe habituellement à l’enfance.
Je fus l’un de ces enfants peu chanceux. Mais je suppose que j’ai quand même eu de la chance, parce qu’une grande variété d’insulines synthétiques injectables ont toujours été à ma disposition. J’ai commencé, comme la plupart des diabétiques de type 1, à vérifier ma glycémie en me piquant un doigt et à m’injecter de l’insuline avec une seringue. La quantité à s’injecter était basée sur une formule mathématique en perpétuelle évolution qui semblait devoir tenir compte de toutes les variables de ma vie.
Cependant, Frederick Banting, le codécouvreur de l’insuline, nous rappelle que « l’insuline n’est pas un remède » – même avec les injections, on a constamment peur que la glycémie augmente ou diminue trop, ce qui contribue aux complications du diabète. La « mort subite au lit » était une expression qui me causait beaucoup d’anxiété et de craintes quand j’étais enfant. Elle décrit le cas où un diabétique se couche apparemment en forme et meurt du jour au lendemain.
À l’âge adulte, je suis passée aux injections avec une pompe à insuline. Cet appareil se rattache au corps à l’aide d’une canule sous la peau et peut être programmé pour effectuer toutes les opérations mathématiques. J’ai également adopté les systèmes de surveillance continue du glucose (Continuous Glucose Monitors, CGM) : de tout petits appareils qui se fixent au corps et qui mesurent le glucose sanguin toutes les cinq minutes. Si la glycémie est faible ou chute trop rapidement, une alerte sonore se fait entendre.
Pompe à insuline MiniMed Revel développée par Medtronic. © iStock.
Finalement, j’en suis arrivée au point où j’avais besoin d’un supplément d’aide. J’ai commencé à avoir de fortes baisses du taux de sucre, le jour comme la nuit, et mon médecin et moi avons eu du mal à comprendre ce qui se passait. Et les bips n’étaient pas suffisants pour me réveiller lors de ces baisses. Je travaillais aussi à distance et passais donc beaucoup de temps seule – je me suis rendu compte qu’avoir accès à mes données CGM n’était pas utile si une sévère hypoglycémie m’empêchait de réagir.
C’est alors que je suis tombée sur une chose appelée CGM in the Cloud, et j’ai entendu parler pour la première fois de # WeAreNotWaiting (#NousN’AttendonsPas) : un groupe de diabétiques et leurs proches qui voulaient avoir la possibilité de mettre leurs données CGM dans le nuage, de façon à pouvoir y accéder de partout. Ils ont créé un projet open source permettant de collecter vos données CGM via un récepteur Bluetooh et une application mobile, puis de les télécharger toutes les cinq minutes dans une base de données MongoDB. Les données peuvent ensuite être utilisées comme bon vous semble : les afficher sur un site web et autoriser des personnes à les consulter, les afficher sur une montre Pebble, analyser les tendances, etc. Les options ne sont limitées que par votre créativité.
J’ai pu voir comment les autres utilisaient leurs données et cela m’a incroyablement ouvert les yeux. Beaucoup de ceux qui ont contribué au projet sont des parents d’enfants de type 1 qui voulaient simplement être en mesure de surveiller à distance la glycémie de leurs enfants. Cela signifiait que les parents pourraient passer toute la nuit dans leur lit et qu’au travail, ils pourraient vérifier d’un simple coup d’œil au poignet le bien-être de leur enfant. Et les enfants pourraient maintenant jouir d’une liberté qu’ils n’avaient jamais connue. Ils auraient la possibilité de rester loin de chez eux plus longtemps, de moins souvent avoir à faire signe de vie. Ils pourraient coucher chez des amis, voyager avec leur équipe sportive ou aller en camp d’été. Ils pourraient enfin être des enfants à part entière.
Sur le plan technique, ce projet a ravivé mon amour de la programmation. Cela a suscité mon intérêt pour le mouvement open source – j’ai en fait créé mon premier compte GitHub juste pour faire un fork du projet. J’ai fait mes premiers pas avec les technologies du nuage, j’ai appris à connaître les bases de données NoSQL, j’ai utilisé Node.js bien avant d’avoir l’occasion de le faire professionnellement, et j’ai eu la chance de découvrir la puissance des grands ensembles de données.
Mais plus encore, j’ai été témoin des avantages réels et tangibles que peuvent apporter aux gens le code source ouvert et la technologie. Cela montre le pouvoir que toute personne ordinaire peut s’approprier. C’est un exemple concret de la façon dont l’accès à la technologie, combiné à la curiosité et au désir d’apprendre, peut réellement améliorer la santé d’une personne. Cet accès peut réduire la mortalité et la morbidité. Il peut nous permettre de vivre une vie plus heureuse malgré les maladies chroniques.
Finalement, les fabricants d’appareils de surveillance continue du glucose ont commencé à adopter et à implémenter certaines fonctionnalités issues de CGM in the Cloud (qui a évolué vers Nightscout), mais le « hacking » ne s’arrête jamais. En fait, il ne fait que croître, car les entreprises sont notoirement lentes à innover et à mettre à jour les fonctionnalités de leurs dispositifs. Les utilisateurs finaux continuent de bidouiller les dispositifs et les logiciels pour améliorer leur qualité de vie et réduire les coûts.
Par exemple, OpenAPS (Open Artifical Pancreas System) est un projet particulièrement passionnant avec lequel j’ai joué ces derniers jours. Les diabétiques attendent depuis des décennies un « pancréas artificiel » – un appareil qui est essentiellement en partie un CGM et en partie une pompe à insuline. Dans un processus que l’on a appelé « boucler la boucle », un programmeur peut essentiellement construire un organe externe à partir de deux dispositifs que de nombreux diabétiques utilisent déjà.
Je suis enthousiaste à l’idée de voir le diabète continuer à être « hacké » de cette manière. J’espère que cela suscitera l’amour de la technologie comme celui de la santé et de l’auto-prise en charge des soins chez tous les diabétiques. Nous avons le pouvoir, nous sommes capables et nous n’attendons pas – #WeAreNotWaiting.